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Georges Perec

Georges Perec (1936,1982), écrivain dont l'oeuvre connait un succès croissant, a vécu jusqu'à l'age de 6 ans dans le 20e arrondissement. Son oeuvre, composée de poêmes et de romans est très originale; elle allie fantaisie et rigueur, exercices de style et analyse sociologique, surtout, elle est particulièrement inventive. Perec est l'auteur, entre autres, de Les choses (prix Renaudot 1965), Espèce d'espace, La disparition, W ou le souvenir d'enfance, La vie mode d'emploi (prix Médicis, 1978).

Dans l'introduction de Penser/Classer, Perec parle de son travail d'écrivain :

Si je tente de définir ce que j'ai cherché à faire depuis que j'ai commencé à écrire, la première idée qui me vient à l'esprit est que je n'ai jamais écrit deux livres semblables, que je n'ai jamais eu envie de répéter dans un livre une formule, un système ou une manière élaborés dans un livre précédent.

Cette versatilité systématique a plusieurs fois dérouté certains critiques soucieux de retrouver d'un livre à l'autre la " patte " de l'écrivain; et sans doute a-t-elle aussi décontenancé quelques-uns de mes lecteurs. Elle m'a valu la réputation d'être une sorte d'ordinateur, une machine à produire des textes. Pour ma part, je me comparerais plutôt à un paysan qui cultiverait plusieurs champs; dans l'un il ferait des betteraves, dans un autre de la luzerne, dans un troisième du maïs, etc. De la même manière, les livres que j'ai écrits se rattachent à quatre champs différents, quatre modes d'interrogation qui posent peut-être en fin de compte la même question, mais la posent selon des perspectives particulières correspondant chaque fois pour moi à un autre type de travail littéraire.

La première de ces interrogations peut être qualifiée de " sociologique ": comme de regarder le quotidien; elle est au départ de textes comme Les Choses, Espèces d'espaces, Tentative de description de quelques lieux parisiens, et du travail accompli avec l'équipe de Cause commune autour de Jean Duvignaud et de Paul Virilio; la seconde est d'ordre autobiographique: W ou le souvenir d'enfance, La Boutique obscure, le me souviens, Lieux où j'ai dormi, etc.; la troisième, ludique, renvoie à mon goût pour les contraintes, les prouesses, les " gammes ", à tous les travaux dont les recherches de l'OuLiPo m'one donné l'idée et les moyens: palindromes, lipogrammes, pangrammes, anagrammes, isogrammes, acrostiches, mots croisés, etc.; la quatrième, enfin, concerne le romanesque, le goût des histoires et des péripéties, l'envie d'écrire des livres qui se dévorent à plat ventre sur son lit; La Vie mode d'emploi en est l'exemple type.

Cette répartition est quelque peu arbitraire et pourrait être beaucoup plus nuancée: presque aucun de mes livres n'échappe tout à fait à un certain marquage autobiographique (par exemple en insérant dans un chapitre en cours une allusion à un événement survenu dans la journée); presque aucun non plus ne se fait sans que j'aie recours à telle ou telle contrainte ou structure oulipienne, ne serait-ce qu'à titre symbolique et sans que ladite structure ou contrainte me contraigne en quoi que ce soit.

En fait, me semble-t-il, au-delà de ces quatre pôles qui définissent les quatre horizons de mon travail - le monde qui m'entoure, ma propre histoire, le langage, la fiction - , mon ambition d'écrivain serait de parcourir toute la littérature de mon temps sans jamais avoir le sentiment de revenir sur mes pas ou de remarcher dans mes propres traces, et d'écrire tout ce qui est possible à un homme d'aujourd'hui d'écrire: des livres gros et des livres courts, des romans et des poèmes, des drames, des livrets d'opéra, des romans policiers, des romans d'aventures, des romans de science-fiction, des feuilletons, des livres pour enfants...

Je n'ai jamais été à l'aise pour parler d'une manière abstraite, théorique, de mon travail; même si ce que je produis semble venir d'un programme depuis longtemps élaboré, d'un projet de longue date, je crois plutôt trouver - et prouver - mon mouvement en marchant : de la succession de mes livres naît pour moi le sentiment, parfois réconfortant, parfois inconfortable (parce que toujours suspendu à un " livre à venir ", à un inachevé désignant l'indicible vers quoi tend désespérément le désir d'écrire), qu'ils parcourent un chemin, balisent un espace, jalonnent un itinéraire tâtonnant, décrivent point par point les étapes d'une recherche dont je ne saurais dire le " pourquoi " mais seulement le " comment ": je sens confusément que les livres que j'ai écrits s'inscrivent, prennent leur sens dans une image globale que je me fais de la littérature, mais il me semble que je ne pourrai jamais saisir précisément cette image, qu'elle est pour moi un au-delà de l'écriture, un " pourquoi j'écris " auquel je ne peux répondre qu'en écrivant, différant sans cesse l'instant même où, cessant d'écrire, cette image deviendrait visible, comme un puzzle inexorablement achevé.

Dans W ou le souvenir d'enfance, qui est un roman autobiographique en forme de double récit, Perec donne quelques indications sur son enfance dans le 20e arrondissement. D'une famille juive polonaise arrivée en France dans les années 20, son père est mobilisé en 1939 et meurt dans les premiers jours de la guerre. Pour l'éloigner du danger nazi, sa mère l'envoie chez une tante dans le Vercors, il y reste pendant toute la durée de la guerre. Elle, reste à Paris, elle est arrétée en 1942 et meure dans le camp de Drancy. Mais laissons Georges Perec parler de lui-même :

Je n'ai pas de souvenir d'enfance. Jusqu'à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j'ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six; j'ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard de Lans. En 1945, la soeur de mon père et son mari m'adoptèrent.

Cette absence d'histoire m'a longtemps rassuré : sa sècheresse objective, son évidence apparente, son innocence, me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles sinon précisément de mon histoire, de mon histoire vécue, de mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le supposer, n'était ni sèche, ni objective, ni apparemment évidente, ni évidemment innocente ?

"Je n'ai pas de souvenir d'enfance" ; je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L'on n'avait pas à m'interroger sur cette question. Elle n'était pas inscrite à mon programme. J'en étais dispensé : une autre histoire, la Grande, l'Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps.

A treize ans, j'inventai, racontai, et dessinai une histoire. Plus tard, je l'oubliai. Il y a sept ans, un soir, à Venise, je me souvins tout à coup que cette histoire s'appelait "W" et qu'elle était, d'une certaine façon, sinon l'histoire, du moins une histoire de mon enfance.

Une fois de plus, les pièges de l'écriture se mirent en place. Une fois de plus, je fus comme un enfant qui joue à cache-cache et qui ne sait pas ce qu'il craint ou désire le plus : resté caché, être découvert.


Les principales oeuvres de Georges Perec
Les Choses, Julliard, 1965.
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, Denoël, 1966.
La Disparition, Denoël, 1967.
Espèces d'espaces, Galilée, 1974.
W ou le Souvenir d'Enfance, Denoël, 1975.
La Vie Mode d'Emploi, Hachette, 1978.
Penser/Classer, Hachette, 1985.

Liens
associationperec.org L'association Perec
carpentier.gilles.free.fr/perec Le site de Gilles Carpentier
perso.wanadoo.fr/jb.guinot Le site de JB. Guinot
www.remue.net Le dossier sur Perec dans Remue.net
www.pol-editeur.fr Le dossier sur Perec dans pol-editeur.fr